Hey Lena !

Son aventure commence au début des années 1970. Dix ans après le Petit Prince, les enfants chanteurs semblent revenir à la mode, suite aux succès des Poppys, puis de Roméo, René Simard ou encore Robert Miras. Certains Français trouvent même cela très choquants de les faire chanter si jeunes. L'excellent documentaire montré en 1998 sur Canal + dans l'émission L'oeil du cyclone témoigne de cet état d'esprit conservateur avec des arguments invoqués comme "Ils piquent le boulot des adultes !" ou encore "Non à l'exploitation du travail des enfants !"...

Certains de ces babys singers ne connaîtront qu'un succès éphémère, le temps d'un titre ou d'un album. Celui de Lena s'étale sur 8 ans, avec des hauts, des bas, et une certaine diversité dans sa discographie.

Sa carrière commence un peu par hasard en faisant la première partie de Sacha Distel lors d'un festival local, dans sa Bretagne natale. Celui-ci ne va pas hésiter et va le faire signer chez Epic où il est très vite pris en main par des paroliers confirmés (Gérard Gustin, Bob Mehdi). Dans la foulée, sort (assez discrètement) son premier 45 tours, "Dis-moi que tu m'aimes", en 1973. La musique n'est pas la première priorité dans la vie du jeune Lenaïck Gicquel. C'est à la suite de radios-crochets qu'il se fait remarquer. Chanter n'est pour lui qu'un plaisir, même s'il travaille dur sa voix. Doué pour les études, il a en effet deux ans d'avance et passera brillemment son bac à l'âge de 16 ans. C'est ainsi que le titre "un an de lycée", son deuxième 45 tours, peut surprendre car, à 14 ans, on est plutôt au collège ! Cette précocité, elle lui sera d'ailleurs reprochée sur son single "Hey Lena !" qui fut interdit de diffusion sur certaines radios, tout simplement à cause du tableau noir qu'il dresse de la société (chômage, crise économique...). Ce qui peut paraître assez incroyable maintenant. Ce sont moins les thèmes abordés que son trop-jeune âge qui ont choqué : la France post-pompidolienne n'acceptait pas encore qu'un mineur puisse parler de "sujets sérieux"...

Entre temps, le jeune Lenaïck a changé de maison de disques et est devenu Lena, un pseudonyme volontairement androgyne, mais qui lui est beaucoup plus familier. Aussi, on a voulu "débretonniser" son nom d'artiste. Passé chez AZ, il fait la rencontre déterminante de Jean-Claude Cosson, qui lui signe son premier succès d'envergure, Dis papa, téléphone-moi. Nous sommes alors en 1974. Le 45 tours se vend à plus de 100 000 exemplaires, et sera même traduit en allemand.

Les rapports parentaux sont un sujet récurrent chez les enfants-chanteurs. Tout comme Roméo, c'est sous l'aspect oedipien que ce thème est abordé : après l'absence du père, c'est la douceur de la mère qui est chantée sur son simple suivant (Pour ma mère).

Mais Lena grandit et est déjà bachelier. Il n'a sutout pas connu d'adolescence. Arrivé à l'âge adulte, les chanteurs précoces cherchent tous à casser leur image d'éternel enfant. Cette mutation est un exercice très difficile. On se souvient par exemple que Vanessa Paradis n'a brisé son image de Lolita qu'à partir du moment où elle a dévoilé son anatomie dans "Noces blanches"... Little Stevie a dû attendre presque une dizaine d'années pour devenir Stevie Wonder... définitivement. Lena, qui est n'est pas un enfant rebelle, choisit une méthode plus douce pour exprimer sa maturité : il chante "L'enfant s'en va", avec l'air du célèbre Massachussets des Bee Gees. Sur la face B, Lena succombe à la mode disco. Le chanteur yé-yé Billy Bridge lui compose le titre "Et dieu créa l'amour". L'expérience est peu concluante.

En 1976, Lena remporte le grand prix de la Rose d'or d'Antibes avec le titre "On s'aime le dimanche". Mais curieusement, cette reconnaissance marque le début de la fin. Lena en a assez de son étiquette d'enfant-chanteur et souhaite faire autre chose dans sa vie que de la musique. Son contrat avec AZ s'achève et il se consacre à ses études en langues étrangères.

Jean-Claude Cosson, qui sera plus connu pour être le producteur-compositeur de Pit & Rik puis des Coco Girls, compose en 1978 le titre "Des mots de sympathie". Il cherche un interprète, et pense à son ex-jeune protégé, qu'il réussit à convaincre. Le titre sort chez Philips et le succès est au-rendez-vous : 120 000 exemplaires en seront vendus. Lena préfère quitter alors le show-business par la grande porte, même si sa maison de disques a tout fait pour le retenir. Elle n'obtiendra qu'un dernier disque au tirage limité, où Lena n'apparaît même pas sur la pochette. En face B, son chant du cygne a pour titre évocateur : "Mourir à 20 ans". L'enfant chanteur est mort, mais un autre homme est né.

Adieu mon bébé chanteur, comme le disait si bien Chamfort... mais bonjour l'artiste baroque ! Sa nouvelle voix, apparue sur ce dernier disque "Aime-moi", est désormais plus proche de Klaus Nomi que de Roméo ! Mais Lena refuse les comparaisons et préfère souligner son originalité. Après une dizaine d'années passées à l'Education nationale, en tant que professeur d'anglais et d'allemand, il remporte un nouveau prix en 1994 au Conservatoire, mais dans un tout autre genre : le baroque. Une nouvelle carrière s'offre à lui, dans les opéras et les oeuvres lyriques. On espère que le succès sera à nouveau au rendez-vous.

* Lena en vedette dans la pièce "La piazza Senile" au théâtre Déjazet de juin à août 2003.

Discographie complète de Léna :

A : Dis-moi que tu m'aimes
(Ann Grégory - Gérard Gustin)

B : Little Lady
(Jean Maghriche - Gérard Gustin)

Epic - Ref. EPC 1241 ©1973

A : Un an de lycée
(J. Broussolle - Gérard Gustin)

B : Je chante "une fleur entre les dents"
(Bob Mehdi - Cyril Assous)

Epic - Ref. EPC 1634 ©1973

A : Celle qui sera
(J. Broussolle - Gérard Nicaud)

B : Hey toutes les filles du monde
( P. Nicaud - G. Gustin)

Epic - Ref. EPC 1863 ©1973

A : Dis papa, téléphone moi
(J.C. Cosson / J.Y. Pacserszky / J. Baudlot)

B : Tu étais ma fiancée
(J.C. Cosson - J. Baudlot)

AZ Discodis - Réf. SG512 ©1974

A : Hey Léna !
(J.C. Cosson / J.Y. Pacserszky / J. Baudlot)

B : Pour ma mère
(J.C. Cosson - J. Baudlot)

(AZ Discodis - Réf. SG530 ©1975

A : L'enfant s'en va
(B.R.M. Gibb / Jacques Demarny)

B : Et Dieu créa l'amour
(Maxime Piolet - Billy Bridge)

AZ Discodis - Réf. SG576 ©1976

A : On s'aime le dimanche
(Jacques Demarny - P. Lemaître)

B : C'est toi que j'aime
(Jacques Demarny - P. Lemaître)

Decca - Réf. 86.555 ©1976

A : Des mots de sympathie
(Jean-Claude Cosson)

B : Faut-il mourir d'aimer?
(Catherine Desage - Francis Lai)

Philips - Réf. 6 172 194 ©1978

A : Aime-moi
(M. Rolland / M. Cywie - K.H. Schäfer)

B : Mourir à 20 ans
(Jean-Claude Cosson - J. Sala)

Philips - Réf. 6 010 280 ©1980